Dans les années 1980, le thème de la piraterie est tombé en désuétude, et si Brik parait encore, l'éditeur renouvelle complètement le contenu de Pirates en y proposant uniquement des séries de guerre. Cela ne sauvera pas le titre qui cessera avec la parution du n°120 en décembre 1986.
Si l'idée était bonne, c'était de toutes manières trop tard, la décennie voyant la disparition de tout un pan de la littérature populaire, que ce soit en termes de romans comme de bandes-dessinées petit format. J'ai d'ailleurs toujours pensé que Mon Journal aurait dû plus tôt créer au moins un titre de guerre, pour y proposer les souvent excellentes séries d'origine britanniques plutôt que de les éparpiller dans ses autres titres d'un autre genre.
Dès le numéro 108 de son titre Pirates, l'éditeur propose un récit de guerre original nommé Les Partisans. Contrairement à beaucoup d'autres récits de guerre publiés par Mon Journal (Hurricane Boy, Capitaine Prince, 5 de Commando... dans Atémi ou Charley s'en va en guerre et Commando suicide dans Bengali par exemple), l'histoire Les Partisans ne trouve pas son origine dans des revues anglaises.
En 1977, les éditeurs de la revue de bande dessinées néerlandaise Eppo souhaitent intégrer un récit de guerre. Eppo avait remplacé le magazine Pep, qui avait des liens avec les revues françaises Pilote et Tintin, et qui proposait dans ses pages des récits d'Astérix, Michel Vaillant, Clifton, Lucky Luke, Bernard Prince et bien d'autres séries francophones.
C'est d'ailleurs André Franquin qui présente aux éditeurs son ami et agent artistique yougoslave Ervin Rustemagić. Ce dernier, né en 1952, n'a à l'époque que 25 ans, mais a déjà une certaine réputation dans le monde de la bande-dessinée européenne. Il est aussi ami avec Hermann qu'il fréquente régulièrement. Au fil du temps, il nouera des liens forts avec d'autres auteurs connus comme Hugo Pratt et Joe Kubert. Pour l'anecdote, quand son pays se déchira durant la guerre entre Bosniaques, Serbes et Croates en 1992, il garda contact avec ces dessinateurs par fax. C’est à partir de ces fax puis de conversations téléphoniques que Joe Kubert aura l'idée de réaliser son fabuleux album Fax de Sarajevo.
Franquin, donc, introduit Rustemagić aux éditions Oberon, créées en 1972, qui lui demandent de proposer une idée de scénario d'une future série de guerre. Martin Lodewijk, l'un des créateurs d'Eppo, auteur entre autres d'Agent 327 et de Storm, dont la famille est originaire de Yougoslavie, souhaitait qu'au moins la première histoire s'y déroule. Pour le dessin, sous les conseils de Franquin, Ervin Rustemagić propose Julio Radilović, dessinateur connu en France sous le nom Jules Radilovic ou tout simplement Jules, qui commençait à être remarqué grâce à sa parodie de Sherlock Holmes, Herlock Sholmes. Afin de le tester, les éditeurs demandent à Jules de dessiner deux pages ayant pour thème les partisans yougoslaves. Bout d'essai qui convainc tout le monde.
Cependant, Lodewijk et Rustemagić, hormis le titre, Les Partisans (De Partizanen), et le fait que le héros doit être un agent anglais afin de pouvoir déplacer d'éventuelles futures aventures dans d'autres pays, ne parviennent pas à se mettre d'accord sur le contenu. Jules, ayant l'habitude de travailler avec le même scénariste, Zvonimir Furtinger, propose une première histoire de 22 planches, nommée Le Traître. Mais elle ne plaît pas, et même si l'éditeur néerlandais a acheté ce travail, il décide de ne pas le publier. Le projet périclite faute de scénariste.
Mais Ervin Rustemagić a parmi ses connaissance le réalisateur Hajrudin Krvavac, auteur de plusieurs films de partisans, notamment Walter défend Sarajevo (Valter brani Sarajevo) sorti en 1972, distribué dans 60 pays, et qui obtint un tel succès en Chine que le prénom Walter y devint à la mode tandis que des rues furent nommées d'après les noms des personnages. Ce dernier lui suggère alors le nom du scénariste du film, Đorđe Lebović. Contacté, celui-ci accepte contre toute attente, et propose de recycler le scénario d'un film qu'il n'a pu finaliser faute de budget et qui devait avoir pour titre Convoi pour El Shatt. Le résultat enthousiasme les éditeurs, la première aventure de la bande dessinée Les Partisans était née. Les Partisans, ou De Partizanen, son titre original, sera pré-publiée pendant 10 ans à partir de fin 1977 dans l'hebdomadaire néerlandais Eppo avant de sortir en album. Sept albums seront publiés entre 1980 et 1989.
Fait intéressant (mais c'était courant à cette époque), Jules et Lebović ne se sont jamais rencontrés, leur collaboration sur cette bande-dessinée se faisant par courrier. Ont collaboré aussi au scénario Marcel Čukli et Ervin Rustemagić. Une intégrale De Partizanen a été éditée en néerlandais en trois tomes de 128 pages (le premier en juin 2015, puis les suites en septembre 2015 et janvier 2016). L'intégrale a été aussi édité en langue croate sous le titre Partizani, en polonais (Partyzanci), et en allemand (Die Partisanen).
En France, autant le dire, la bande-dessinée a été massacrée par Mon Journal. Adaptée pour être réduite aux dimensions du petit-format, aucune des cases n'a échappé aux redécoupages et aux retouches. Pire, plusieurs cases ont même été supprimées. Bien-sûr, l'éditeur français n'a proposé qu'une version en noir et blanc, alors que les planches originales étaient en couleur. Quant à la traduction, elle fut assez sommaire...
Ci-dessous, le découpage original des récits :
1. Het Konvooi (48 pages) revue Eppo, 1977-78 – Album 1, 1981,
2. Het Geheime document (24 pages) revue Eppo 1978, Album 2, 1981,
3. De Krijgsgevangene (24 pages) revue Eppo 1979, Album 2, 1981,
4. Commando-eenheid Y (24 pages) revue Eppo 1979-80, Album 3, 1982,
5. De Brug (24 pages) revue Eppo 1980, Album 3, 1982,
6. De Zwarte wolven (24 pages) revue Eppo 1981, Album 4, 1982,
7. De Dubbelganger (24 pages) revue Eppo 1981 – Scénario de Cukli, Album 4, 1982,
8. De Ontvoering (24 pages) revue Eppo 1981, Album 5, 1984,
9. Een val voor Dragon (24 pages) revue Eppo 1982 – Scénario de Rustemagic, Album 5, 1984,
10. Het Balkan-front (48 pages) revue Eppo 1983, Album 6 1984,
11. Operatie sneeuwvlok (24 pages) revue Eppo-Wordt Vervolgd 1987-88, Album 7, 1989,
12. De Scarabee (24 pages) revue Sjors en Sjimmie Stripblad 1988-89, Album 7, 1989.
Titres français (Pirates n°108 à 117 - Juillet 1985 à Juillet 1986) :
108 : Major "Dragon", 44 planches : première partie de l'adaptation du récit Het Konvooi,
109 : Trahisons en chaîne, 48 planches : seconde partie de l'adaptation du récit Het Konvooi,
110 : Combattants de l'ombre 46 planches : adaptation du récit Het Geheime document,
111 : Les Portes de fer, 46 planches : adaptation du récit De Krijgsgevangene,
112 : Raid impossible, 46 planches : adaptation du récit Commando-eenheid Y,
113 : Le Maestro de la dynamite, 46 planches : adaptation du récit De Brug,
114 : Mission en Dalmatie, 48 planches : adaptation du récit De Zwarte wolven,
115 : Sans ordre de mission, 40 planches : adaptation du récit Een val voor Dragon,
116 : Mission au coup par coup, 44 planches : première partie de l'adaptation du récit Het Balkan-front,
117 : Le Jardin du Diable, 40 planches : seconde partie de l'adaptation du récit Het Balkan-front.
Les histoires De Dubbelganger et De Ontvoering ont sûrement été achetées par l'éditeur Mon Journal, mais le titre Pirates est stoppé au numéro 117, et sont donc inédites en langue française. Les histoires Operatie sneeuwvlok et De Scarabee sont plus tardives, parues trois ans après la disparition des petits formats de l'éditeur, et sont donc aussi inédites en français.
Les couvertures des sept albums originaux
Les auteurs :
Julio Radilović, alias Jules Radilovic, alias Jules, est né à Mirobor le 25/09/1928 en Yougoslavie (de nos jours en Slovénie). Ses parents s'installent à Zagreb en 1939 et il ne quittera plus cette ville. Il commence à être illustrateur en 1945, fréquente l'école des arts appliqués de la ville à partir de 1948, mais ne terminera pas son cursus, préférant se lancer en free-lance en 1952 avec la publication de sa première bande-dessinée. Il n'est pas très connu en France où il a été peu publié, de manière assez anonyme, par exemple dans les petits formats Janus Stark et Tipi dans lesquels on peut lire quelques histoires de sa parodie Herlock Sholmes (gros succès paru dans plusieurs publications en Europe et au Brésil), dans Pirates pour les débuts de sa saga Les Partisans, ou dans Akim en 1987 pour trois histoires d'Aventures Africaines. Il travaillera pendant 30 ans avec le scénariste Zvonimir Furtinger, avec lequel il créera la plupart de ses séries. Il a illustré aussi beaucoup de couvertures et de publicités. Il prend sa retraite en 1989, a été président de l'Union des Artistes de la Bande Dessinée Yougoslave et fut le premier président de la Société Croate des Auteurs de Bandes Dessinées. Décoré de l'Ordre de la Danica de la République de Croatie, il reste un auteur de bande-dessinée à découvrir en France. Julio Radilović est décédé le 26/01/2022 à Zagreb à l'âge de 93 ans.
À propos de la bande-dessinée Les Partisans, il a déclaré lors d'une interview à l'occasion du 21ème Festival de BD de Zagreb en mai 2018 : " ( … ) j’ai le sentiment que Les Partisans (De Partizanen) est mon chef-d’œuvre. Après ça, je n’ai plus rien fait d’aussi abouti et je voulais arrêter plutôt que de faire des bandes-dessinées qui me sembleraient inférieures à cette série. Je ne ressentais plus le besoin de faire des BD, alors j’ai arrêté la production intensive que j’avais dans les années 1980 quand mes séries ont touché à leur fin".
Dorde Lebovic, alias Djordje Lebovic, alias Đorđe Lebović, est né le 27/06/1928 à Sombor en Yougoslavie (de nos jours en Serbie). De confession juive, il subit l'infamie des camps de concentration dès l'âge de 15 ans et voit sa famille décimée, passant par Auschwitz, Mauthausen et Sachsenhausen. Ce survivant de l'Holocauste restera marqué à jamais, ce qui se ressentira dans ses écrits abordant souvent la guerre. En 1947, il commence des études à la Faculté technique de Belgrade, d'où en 1948, il est transféré au Département de philosophie de la Faculté de philologie, où il obtient son diplôme en 1951. Dès ses études, il travaille comme journaliste à Radio Belgrade et dans un journal humoristique. En plus du théâtre, de la radio et de la télévision, il a travaillé sur des scénarios pour certains des films les plus célèbres en ex-Yougoslavie comme La Bataille du dernier pont (Most, 1969, film sorti en salles en France le 20/10/1971, et qui servira de base pour un des épisodes de la bande-dessinée Les Partisans), Valter brani Sarajevo (1972) ou Partizanska eskadrila (1979), des films bien-sûr ancrés dans la guerre. En 1977, il écrit le scénario de la bande-dessinée De Partizanen pour un éditeur néerlandais, là encore un récit de guerre ; une collaboration qui durera une dizaine d'années, et il semble que ce soit son unique contribution à la bande-dessinée, qui connaîtra le succès aux Pays-Bas et en Yougoslavie. Il est le fondateur et le premier président de l'Association des Dramaturges de Serbie. Il décède le 22/09/2004 à Belgrade à l'âge de 76 ans.