our fêter dignement le retour de la magie dans Pif-Gadget, nous avons demandé à Jean-Luc Muller, grand passionné de magie et ancien lecteur de nous concocter un dossier de circonstance : Pif et la Magie. Nous vous proposerons ce dossier en plusieurs parties qui vous permettra de redécouvrir comment était présente la Magie dans le célèbre hebdomadaire. Pour inaugurer cette suite d'articles, vous découvrirez comment la magie est arrivée dans Pif-Gadget...

Laissons tout d'abord le soin à Jean-Luc de se présenter.

La magie et PIF, toute une histoire ! (1ère partie)

Illusionnisme, prestidigitation, tours de passe-passe... autant de facettes pour un art qui fascine les enfants... et les enfants attardés. Dès son origine, Pif-Gadget a su donner à cette merveilleuse discipline une place privilégiée.

Il faudrait plusieurs volumes pour raconter et illustrer tout ce que peut représenter la magie aux yeux des enfants, puis plusieurs volumes supplémentaires pour détailler ses diverses représentations dans Pif au fil des années.

J'ai souhaité ici donner quelques coups de projecteurs sur plusieurs aspects passionnants de la belle aventure "Pif et la magie", profitant de l'occasion pour dévoiler d'où proviennent certains des tours de magie expliqués aux lecteurs. Ils sont le fruit d'une longue tradition tirée du 19e siècle et cette activitée merveilleuse est loin de s'éteindre, si l'on en juge par le nouveau Pif (et notamment son numéro "Spécial magie" de novembre 2004).

Je vous raconterai notamment, avec l'aide de Richard Medioni, d'où provenaient les tours expliqués dans Pif-Gadget, à quoi correspondaient les gadgets magiques; je passerai en revue les différentes versions des rubriques "magie" dans le "Journal des jeux" et décrirai les deux grandes opérations de gadgets magiques (en 1973 et 1976).

Prêts pour le voyage ?

De la magie à Pif - de Pif à la magie

Lorsque je découvrais mon premier Pif-Gadget, à l’âge de 6 ans, je venais également de découvrir le monde merveilleux des magiciens. A l’époque (1972), la télévision diffusait une émission intitulée « Passe-Passe », au cours de laquelle Gérard Majax dévoilait quelques trucs faciles à réaliser et en présentait d’autres, qu’il n’expliquait pas. J’avais également découvert un personnage qui allait me suivre longtemps : Robert-Houdin, l’inventeur de l’illusionnisme en tant que spectacle au milieu du 19e siècle.

Et puis un jour, on annonça dans Pif-Gadget une grande série de gadgets magiques !

éditorial de Richard Medioni paru dans le Pif-Gadget n°210 annonce parue dans le Pif-Gadget n°210 pour le gadget de la semaine suivante

En 1973, pendant six semaines, le petit garçon que j’étais se laissa enchanter, dans tous les sens du terme. Je devins même un jeune prestidigitateur, lors de mes années de collège, un peu à cause de Pif

J’ignorais alors qu’une vingtaine d’années plus tard je réaliserais le premier (et seul) film documentaire consacré à Robert-Houdin… ni que je rencontrerais cette même année le magicien qui avait animé la série des "magigadgets" !

Travaillant à un projet d’émissions sur la magie en 1995 (qui ne devait pas voir le jour, malheureusement) je fis la connaissance de Jacques Delord, l’une de mes idoles de la magie.

photo tirée de Pif-Gadget n°398, dont Jacques Delord animait les pages autour du gadget
Pif-Gadget n°395, qui lançait la série

(En 1976, il avait animé ce qui reste sans doute comme la plus belle émission sur la magie, pour FR3 : « les Ateliers du Magicien ». Son univers poétique m’enchantais et je me souvenais que cette année-là, il avait collaboré à Pif pour une nouvelle série de numéros avec gadgets magiques.)

… et je découvris également que nous étions voisins, dans le 12e arrondissement de Paris ! Il n’y a pas de hasard…

Cette même année, grâce à Jacques Delord et mon ami magicien vidéaste Axel Dorsay, je rencontrai enfin un vieux monsieur qui m’avait fasciné, tant il représentait pour moi la parfaite illustration du prestidigitateur de music-hall, de cabaret : Jean Delaude.

couverture et 4ème de couverture (dédicacée par Jacques Delord) du livret de magie à découper pour relier les différents chapitres que l’on trouvait dans les 6 numéros

Je lui offris une copie d’un numéro de Pif-Gadget auquel il avait participé 22 ans auparavant, ce qui l’émut beaucoup.

Le plus troublant, c’est que je réalisais, avec 20 ans d’intervalle, que le titre de mon film (« Robert-Houdin, une vie de magicien ») était imprimé en toutes lettres, pour peu qu’on lise ces 2 pages du « livre magique »  ensemble :

extrait des pages détachables du « Grand livre de la Magie », Pif-Gadget n°211. L’article sur Robert-Houdin et celui consacré à Jean Delaude, lus côte à côte… donnent le titre de mon film ! Etrange coincidence…

Jean Delaude nous a quitté en 1999. Il a tout juste eu le temps de m’apprendre un tour et partager quelques-uns de ses souvenirs.

Je suis particulièrement heureux que Pif renoue avec cet art merveilleux et propose, dès son quatrième numéro un « Spécial magie ». Que de beaux souvenirs en perspective…

Jean-Luc Muller

L'interview : Richard Medioni, le fou de magie

A tout seigneur, tout honneur : j’ai choisi de commencer par cette interview illustrée de celui qui a le plus contribué à la présence de la magie dans Pif et surtout celui qui a le plus fait pour que cette magie soit de qualité. Pour comprendre d'où viennent les tours expliqués dans Pif et quelle fut la philosophie de leurs initiateurs, une petite interview de Richard Medioni nous éclairera mieux qu'une longue analyse. Il fut, on le sait, membre de la rédaction lors de la dernière année de Vaillant puis rédacteur en chef de Pif-Gadget jusqu'à la fin 1973. Grand amateur de prestidigitation, il fut le principal responsable des rubriques "magie" du "Journal des Jeux" et de la présentation de gadgets magiques. mais sa contribution ne s'arrête pas là...

Jean-Luc  - D'où vient l'idée de mettre de la magie dans PIF ?

Richard Medioni : "Il faut savoir qu'à l'époque, la magie était un concept totalement sous-exploité dans la presse jeunesse. Moi-même passionné de magie, j'ai voulu intégrer des tours expliqués dans le "Journal des Jeux". Dès le début de Pif-Gadget en 1969, on trouvera donc des "trucs" dévoilés, au départ uniquement des choses très simples, des petites astuces, expliqués par du texte et une petite illustration".

J.-L. - A quand remonte l'idée du gadget "magique" ?

R. M. : "Eh bien, dès le numéro 2 de Pif-Gadget, le "ZIP MAGIQUE" est déjà une adaptation "magique" d'un phénomène de physique très simple. Par la suite, les tout premiers tours d'illusionnisme seront à base de cartes à découper pour réaliser des divinations, etc. (pratiques car faciles à réaliser et encarter dans le journal)".

Pif-Gadget n°2

gadget du Pif-Gadget n°2 : le Zip magique

J.-L. - D'où provenaient les tours ? Qui les choisissait ?

R. M. : "Concernant les tours expliqués dans le Journal des Jeux, c'est Géo-Mousseron qui nous amenait régulièrement les tours à publier. C'était un très vieux monsieur que toute la rédaction avait littéralement "adopté" et qui venait nous présenter ses petits tours - bien qu'il ne fût pas du tout magicien ! Il avait chez lui une imposante documentation dans laquelle il puisait. Je dois dire que bien souvent, ses explications étaient assez confuses et il nous fallait tout reformuler !

De mon côté je passais mon temps libre aux puces et dans les boutiques de farces et attrapes et petit à petit j'ai rempli toute une armoire de livres de prestidigitation et des trucs que l'on pourrait adapter dans Pif !"

J.-L. - Et les gadgets ?

R. M. : "C'est la même chose. L'équipe du gadget était très sensibilisée à la magie. On adaptait les trucs que l'on avait trouvés chez certains créateurs de farces et attrapes ou dans des boutiques de jouets ou parfois des idées que j'avais dénichées lors de mes nombreux voyages à Londres, où la littérature concernant la magie était pléthorique !"

dans le Pif-Gadget n°2, un tour sommairement illustré par J. Tabary

J.-L. : Quelles limites vous imposiez-vous ? Vous ne pouviez pas TOUT dévoiler ! Y avait-il une “déontologie de la magie” dans Pif ?

R. M. : "Ah oui, je faisais très attention à 2 points essentiels, pour lesquels les magiciens professionnels nous ont toujours remerciés :

1°) Il ne fallait jamais publier de tours - soit par le gadget soit dans les jeux - qui soient utilisés professionnellement. On se limitait aux "trucs" simples qui ne portaient pas préjudices aux prestidigitateurs dont c'était le métier ! L'un des tours "limites" fut sans doute la "vitre magique", dont le principe était employé par les "pros" !

2°) Il fallait donner envie aux lecteurs de s'intéresser à la magie et pour cela leur proposer des choses accessibles, compréhensibles et mises en scène de manière attractive. En somme, faire l'inverse des autres illustrés pour la jeunesse, où la magie était un simple bouche-trou en coin de page".

dans le Pif-Gadget n°148, le tour de la “vitre magique” est un gadget reprenant le principe d’un veritable truc d’illusionnisme ! Il est expliqué selon la “méthode Medioni”, c’est-à-dire en BD ! – Illustré par Giroud, reprenant le personnage du père Passe-passe de Cézard

J.-L. : Venons-en justement à ce souci de clarté et de "mise en scène"....

R. M. : "C'est l'un des aspects dont je suis le plus fier et que je revendique totalement : le tours expliqués dans Pif devaient être compréhensibles !! Je me souvenais de ma première "boîte de magie", dont je n'avais jamais été capable de réaliser le moindre tour, tant les explications étaient confuses ! Idem lorsque Géo-Mousseron nous présentait ses trucs sur des feuilles de papier jauni. Je ne voulais pas que le jeune lecteur soit frustré et il fallait que les tours expliqués soit réalisables !

Pour moi, un tour de magie est un spectacle, une merveilleuse activité d'éveil pour un enfant qui a l'occasion de jouer à être le magicien. Or, bien souvent, les tours expliqués que l'on trouve dans le commerce privilégient l'aspect "explication" sur la  présentation. Je ne voulais pas que les lecteurs considèrent la magie comme un simple étalage de trucs dévoilés. J'ai mis l'accent sur le déroulement du spectacle, les paroles prononcées par le magicien"...

J.-L. : ... ce qui a donné naissance aux tours présentés en BD ?

R. M. : "Oui, et c'est ma grande fierté; personne ne faisait cela à l'époque. J'ai demandé aux dessinateurs de l'atelier Pif, au 126 rue Lafayette, de réaliser de véritables planches de BD explicitant les différentes phases de la réalisation des tours. C'est moi qui réalisais les scenarios des BD de magie, comme je le fais aujourd'hui dans le nouveau Pif gadget. Il y avait Géo-Mousseron, Claude-Marcel Laurent et Crespi (il signait Ipserk et réalisait la BD "Nestor". Il travailla aussi sur "Ludo" pour les scénarios). Tous trois étaient de très anciens collaborateurs de Vaillant et ils étaient des piliers des Poches. Roger Dal n'a jamais fait de tour de magie. Et pour ma part j'en ai écrit un grand nombre entre 70 et 73".

J.-L. : Ah oui, les "poche" !  J’ai trouvé chez un bouquiniste un très beau Pif Poche Animé “Spécial magie” datant d’avril 1970 (précisément la date de la séparation des Beatles, pour l'anecdote)...

R. M. : "C'est avec la rédaction de ces "poche" que se posait le problème de la quantité (200 pages !) et c'est là que l'armoire pleine de tours accumulés devenait précieuse ! Il fallait également trouver une approche pédagogique pour la démonstration du tour dans ce format réduit".

le magnifique Pif Poche n°56...

...on y dévoile la fameuse "chasse aux cigarettes", grand classique des tours de cabaret !

J.-L. : Qui étaient les dessinateurs illustrant les tours dans PIF ?

R. M. : "C'était l'atelier de Vaillant à qui revenait le soin de les mettre en images. Cet atelier comportait Michel Motti, Yannick Hodebert et Jacques Tabary, le frère de Jean. A eux s'ajoutaient les dessinateurs de presse embauchés pour illustrer le Journal des jeux, Gring en tête".

J.-L. : A quand remonte la première "BD magique" ?

R. M. : "Le premier tour illustré pas-à-pas dans le Journal des Jeux est apparu dans le numéro 75. C'était une première étape (à peine une demie page) encore discrète. Par la suite, nous avons réalisé de plus en plus régulièrement de pleines pages de BD présentant un véritable "spectacle de magie", dont l'explication des tours se retrouvait en fin de "Journal des Jeux". Jean Tabary en fut le principal dessinateur. Gring en a réalisé plusieurs également".

le premier tour illustré en BD dans Pif-Gadget n°75 illustré par Motti 

très belle illustration dans le "Journal des Jeux" de Pif-Gadget n°49 signée Gring qui illustrera plusieurs tours dans le cadre de jeux “special magie”.

J.-L. : Je garde un souvenir ému des "Spécial Magie" dans le journal des jeux, avec parfois 3 planches de tours en BD !

R. M. : "Cela dit, ce n'était pas systématique et il y avait encore parfois des tours expliqués en illustrations simples. Mais en 1972, le recours à la BD était devenu quasi systématique.

J.-L. : ... avec notamment la page "Monsieur Magie" très régulière jusqu'à la rentrée de septembre 1975, dessinée par Jacques Tabary.

R. M. : "Exact".

“Monsieur Magie” illustré par Jacques Tabary, jusqu’en octobre 1975

J.-L. : Et la magie dans le "nouveau" Pif-Gadget ?

R. M. : "J'ai volontairement choisi de différencier les petites "astuces" résumées sous la rubrique "Je te parie que..." et les véritables tours de magie avec "les secrets de Mister Magic", qui reprend le principe du spectacle dont le déroulement est illustré étape par étape. Aujourd'hui je teste avec une très grande rigueur tous les tours qui sont proposés dans le "Journal des Jeux", et je les travaille, et je les modifie tant qu'ils ne sont pas complètement au point".

J.-L. : Il me semble que l'inspiration pour ces tours est sensiblement la même qu'à la "grande époque" des années 70 ?

R. M. : "En effet. Une petite anecdote permet d'illustrer la relation qui s'est instaurée avec les premiers Pif : Le tour de magie du 86 (illustré ci-après) n'est plus faisable aujourd'hui car les feuilles de bristol que l'on trouve dans le commerce sont différentes de celles de l'époque. En effet, aujourd'hui elles sont poreuses et se gondolent. J'ai essayé de réaliser ce tour : il est devenu infaisable.

un tour illustré dans le Pif-Gadget n°86 de 1970 que l'on retrouvera dans le Pif-Gadget n°2 de 2004, soit 34 ans plus tard, un record !

De plus, il demande une manipulation très délicate que des enfants ne peuvent réaliser. J'ai donc adapté pour le n° 2 du nouveau Pif Gadget cet ancien tour, à force d'essais divers qui ont à plusieurs reprises inondé ma cuisine et donné à mon appartement une odeur de vinasse épouvantable. J'ai finalement trouvé une solution moderne consistant à utiliser du papier aluminium légèrement fripé, et cela marche à tous les coups, sans risque de renverser le vin. Ainsi, ce tour est devenu faisable par un jeune enfant. Il en va bien évidemment de même pour tous les autres tours que je publie dans le journal".

J.-L. : Merci pour ces nombreuses heures de magie, grâce à vous, et surtout bonne continuation abracadapifesque !

 

le tour remis à jour dans le Pif-Gadget n°2 de 2004

Dans la semaine prochaine, je vous proposerai, dans un nouveau chapître, un grand tour d’horizon consacré à la magie dans Pif-Gadget.

Jean-Luc Muller