L’un des derniers albums de Guido Buzzelli scénarisé par lui-même, « L’agonone » de 1976, a pour sa part été publié au 1er trimestre 1980 aux éditions
Dargaud, n° 28 de la
Collection Pilote.
Guido Buzzelli y continue ses mêmes jeux d’emboîtements. Tout comme pour « L’interview », la première page est en plan subjectif où le lecteur découvre la scène à travers le point de vue du personnage.
Et dans ce récit, Guido Buzzelli se met une fois de plus en scène lui-même, mais cette fois en donnant ses traits non à un personnage, mais deux. Les deux personnages principaux – dont l’un est auteur et metteur en scène de théâtre, possible métaphore de l’auteur et dessinateur de bande dessinée -, sont deux sosies portant une nouvelle fois les traits barbus de l’auteur et dessinateur Guido Buzzelli.
Un auteur et metteur en scène de théâtre, Tek Ciopaka, à la recherche de l’acteur principal de sa prochaine pièce, croise donc son sosie, portant pour nom l’anagramme Katapeckio, curieux lascar plus ou moins assassin, et par souci de recherche de réalisme, lui propose le rôle.
Le dénommé Katapeckio, de par sa personnalité écrasante, prend de plus en plus d’ascendant sur Tek Ciopaka, le remplace progressivement. Il est non seulement l’acteur principal de la pièce du récit mais en devient presque aussi son auteur, et le personnage principal du récit lui-même.
Pour le choix du reste de la troupe, Katapeckio, introduit Tek Ciopaka dans une société de « gangsters, assassins, entremetteurs, putes, maîtres-chanteurs, crétins et vicelards de tous poils »
Cette étrange compagnie se prend de plus en plus au jeu et, au sein du récit, théâtre et réalité se confondent en un ensemble complexe où viennent encore intervenir rivalité entre truands et retournements politiques.
Le plus réaliste – ou celui qui a le moins recours à des éléments fantastiques – des albums de Guido Buzzelli, et aussi le plus subtil ?
Analyse de Marie-Ange Guillaume :
http://frboudet.pagesperso-orange.fr/agnone.html« Buzzelli a encore les pires ennuis avec sa propre image.
Dans une autre histoire, il était équipé de bras et de jambes détachables qui passaient le plus clair de leur temps à aller enquiquiner ses contemporains. Dans celle-ci, il se dédouble. Lui, Buzzelli-Teckiopaka, est un auteur dramatique pétri de sentiments égalitaires qui tente naïvement d'exorciser dans une pièce de théatre les noirceurs du monde. C'est bien une idée d'intellectuel. Son jumeau et personnage principal, Buzzelli-Katapeckio, n'est pas une affaire : crapule d'égouts sans foi ni loi ni morale, il pense que, dans un monde peuplé de bourreaux et de victimes, il vaut mieux être bourreau et agir en conséquence. Ce qui fait que cette pièce, jouée par d'authentiques assassins, putes et vicelards en tous genres comme Buzzelli sait les cauchemarder, débordera largement l'imagination de l'auteur. Tout le monde zigouillera tout le monde et, metteur en scène et roi des égouts, liés comme le jour et la nuit, échoueront ficelés dans le même paquet dérisoire.
Il ne restera que l'agnone, symbole inconscient de toutes ces chimères, sombre bestiole entre agneau et lion (peut-être), capable de tous les extrêmes, du bien au mal. Capable, par exemple, de batifoler tendrement avec un jeune chien, jusqu'au moment où elle le bouffe parce que tel est son bon plaisir, ou sa logique.
Les bons et les méchants, ça n'existe pas. Victimes et bourreaux sont interchangeables et ce qui compte, c'est le Pouvoir lui-même, qui peut changer de bord, de mains et de têtes sans que ça change rien à rien.
Inutile de dire que, comme « La révolte des ratés », cette histoire-là (parue dans
Charlie Mensuel) est noire, infernale, sans espoir. Marrante, aussi, parce que, cauchemarder dans la nuit des autres donne le recul qu'on n'a pas forcément dans sa propre nuit. «
M.-A. Guillaume

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